#challengeUproG du mois : « la vente d’un bien national ».
Le 2 novembre 1789, l’Assemblée nationale décrète la mise à disposition de la Nation des biens du clergé afin de rembourser les dettes de l’État. Cette mesure marque le point de départ de la première vente de biens nationaux, dits de première origine. D’autres biens, dits de seconde origine, seront plus tard saisis sur les émigrés.

En Bretagne, dans le district de Rostrenen, le directoire décide de la nationalisation de plusieurs biens ecclésiastiques. Une vente, annoncée par voie d’affichage, est organisée le 26 mai 1791 dans la salle des adjudications de Rostrenen. Les Archives départementales des Côtes-d’Armor en conservent le procès-verbal1. Quatre lots sont proposés : deux provenant de l’abbaye de Bon-Repos, un de l’abbaye bénédictine de Quimperlé, et un quatrième correspondant à l’ancienne seigneurie de Kerlevenez dans la paroisse de Bothoa, saisie sur les dames carmélites de Nazareth à Vannes qui la possedaient depuis deux cents ans et à qui elle rapportait 1 600 livres de rente annuelle. L’année suivante, les religieuses seront brutalement expulsées de leur monastère et même détenues pour certaines d’entre elles. Tous leurs biens furent vendus au plus offrant, à l’exception du couvent que l’État conserva pour y établir une manutention militaire.

La terre de Kerlevenez comprenait un manoir du XVIIe siecle, un moulin, une ferme, une métairie, des terres, des bois et diverses dépendances convenancières2. Le directoire avait ordonné une prisée qui a nécessité pas moins de dix journées de travail résultant en une évaluation à 23 402 livres3. Le juge de paix du canton de Rostrenen est chargé de procéder à la vente et met le bien national à prix pour 24 000 livres.
La séance dure le temps de six bougies. Deux enchérisseurs s’y affrontent : Le Pollosec et Robin. Le moulin inclus dans le lot, connu sous le nom de Moulin Robin, aurait-il stimulé la détermination du second ? Robin ouvre les enchères à 26 000 livres. Le Pollosec surenchérit à 30 000, puis le duel s’anime : 30 100, 30 500, 34 000, 34 500, 36 000, 36 500. Enfin, Robin propose 37 000 livres lors de la cinquième bougie. La sixième bougie se consume sans nouvelle offre de son rival. Le domaine de Kerlevenez est adjugé à « Ollivier Marie Robin de Morhéry, demeurant en la ville et paroisse de Loudéac ». Mais qui est-il donc ?
…
De la fortune à la faillite : le retour de bâton de Kerlevenez
L’acquéreur de Kerlevenez est un jeune homme de vingt-quatre ans, issu d’une famille appartenant à l’élite marchande du commerce des toiles de lin dites « bretagnes ». Son père est une figure de premier plan à Loudéac au temps de la Révolution : député à l’Assemblée nationale en 1789, il rentre à Loudéac l’année suivante, où il est nommé président du tribunal du district. Fervent partisan des reformes religieuses de la Révolution, il préside l’assemblée chargée de la nomination des prêtres constitutionnels et soutient activement l’aliénation des biens du clergé (dont il avait voté le décret) puis de ceux des émigrés. On le voit acquérir au moins sept biens nationaux — châteaux, métairies, maisons et autres tenures. Dans son testament, il reconnaît avoir aidé son fils à acquérir Kerlevenez : « Ayant fait de très grands avantages à mon fils Olivier Marie », ecrit-il, « en payant de grandes sommes pour son acquisition de la terre de Kerlevenez. »4.
Olivier Marie Robin de Morhéry (1766-1834) ou Robin-Morhéry après avoir supprimé la particule (roturière mais néanmoins suspecte), partage les convictions politiques de son père. Il sert dans les guerres de la Révolution avec le grade de capitaine, puis traverse le consulat et l’Empire comme maire de Loudéac, conseiller d’arrondissement et conseiller général. Il avait épousé l’héritière d’un riche marchand-exportateur de toiles établi à Loudéac et à Cadix, et s’était consacré au négoce, mais le blocus continental et les guerres d’indépendance d’Amérique du Sud portèrent un coup fatal à son commerce. Ruiné, Robin-Morhery est déclaré en faillite par le tribunal de Loudéac le 15 juillet 1813. Ironie du sort – ou simple retour des choses pour celui qui avait profité de la vente de biens confisqués : il se retrouve lui-même victime du même mécanisme. Ses propres biens sont saisis et vendus au plus offrant. Le 30 août 1814 le manoir de Kerlevenez et ce qu’il reste de ses terres (Morhéry en avait deja vendu une partie) sont remis aux enchères. Deux bougies se consument sans offre. Après six autres bougies, Kerlevenez est adjugée pour 12 600 Francs, soit 1275 Francs de moins que sa mise a prix!5






Photos du Manoir de Kerlevenez en 1967 dans la commune de St-Nicolas-du-Pelem © Inventaire général, ADAGP
- AD22, cote 1Q1/35 – Procès-verbal de vente aux enchères de la terre de Kerlevenez [voir document numérisé] ↩︎
- En Bretagne, un convenant ou bail à domaine congéable est un type de contrat entre un propriétaire foncier et un exploitant agricole, propriétaire « des édifices et superfices » ↩︎
- AD22 cote 1Q1/21 – Procès-verbal d’estimation de la terre de Kerlevenez [voir document numérisé] ↩︎
- AD22 cote 3E3/143- Testament de Louis François Anne Robin-Morhéry du 25 juillet 1820 ↩︎
- AD22 cotes 3U4/70-79 – Faillitte Morhéry (1813) et registres confisqués provenant de la faillitte ↩︎


