#challengeUproG du mois : « une distinction de l’Education Nationale ».

Par arrêté ministériel du 14 juillet 1883, Louis NIVELLE, directeur de la Maison Centrale de Melun, est nommé Officier d’Académie, soit le premier grade des Palmes Académiques. Dans le contexte d’une administration pénitentiaire marquée par la discipline rigide et la répression, une telle distinction pour un « taulier » semble étonnante et l’on peut légitimement se demander ce qui a bien pu justifier une telle reconnaissance.

Les archives du Ministère de l’Intérieur, de la Légion d’Honneur, de l’Armée mais aussi la presse ancienne et la littérature « pénitentiariste » de l’époque : toutes ces sources vont nous permettre de reconstituer avec précision le parcours de Louis NIVELLE et d’éclairer les raisons pour lesquelles il fut décoré par le Ministère de l’Instruction Publique.
Né en 1827, Louis NIVELLE appartient à une famille de militaires. C’est donc assez naturellement qu’il s’engage dans l’armée, gravissant les échelons jusqu’au grade de sous-lieutenant. Il sert longtemps dans la Légion étrangère, où il est blessé lors du siège de Sébastopol et cité à l’ordre du jour. Après 18 ans de service, il rentre dans la vie civile en 1864 à l’occasion de son mariage avec Mlle VINCENT, fille d’une maîtresse de pension, qui avait donc reçut une éducation accomplie ce qui lui permettra de tenir des réceptions dominicales prisées où se rencontreront les accointances républicaines de son mari.
Trois mois après leur mariage, le couple s’installe à Nantes, où Louis NIVELLE est nommé directeur de la Maison d’Arrêt. Ils y résident pendant quinze ans, jusqu’à ce que, en 1880, il soit muté à la Maison Centrale de Force de Melun. En 1884, il accède au poste d’Inspecteur Général des Services Pénitentiaires. C’est une consécration car il est le tout premier inspecteur général des prisons de France sorti du rang.
NIVELLE n’était pourtant pas un homme sans ennemis. Son engagement humaniste et sa conception progressiste du système carcéral lui valurent l’hostilité de nombreux collègues. Philanthrope dans l’âme, « animé d’un zèle d’apôtre », NIVELLE défendait une approche pénitentiaire fondée sur l’amendement et la réinsertion des détenus. Des idées qui nous paraissent aujourd’hui évidentes, mais qui, à l’époque, étaient souvent perçues comme naïves et superflues. Les directeurs de prison dits « de poigne » reprochaient ainsi à NIVELLE de vouloir « écouter et plaindre les détenus ». Dans le système pénitentiaire de NIVELLE, les prisonniers avaient la possibilité de travailler, de se distraire, de recevoir des soins médicaux, et de bénéficier d’un accompagnement de « relèvement moral » avec admission possible au sein d’un quartier spécial dit « d’amendement », destiné à la réhabilitation, et dont la création lui valut « les critiques, sarcasmes et inepties de la plupart de ses collègues ». Les détenus pouvaient aussi s’alphabétiser, et NIVELLE avait lui-même organisé un cours qu’il dirigea personnellement pendant plus de dix ans, mais qui ne saurait toutefois pas, seul, justifier les Palmes Académiques.

Malgré l’opposition d’une partie de ses collègues, NIVELLE jouit du soutien constant de sa hiérarchie, qui se félicitait de ses réussites. En 1880, il est décoré de la Légion d’Honneur, et deux ans plus tard, il est autorisé à publier un ouvrage de référence intitulé De la récidivité au point de vue pénitentiaire. Ce livre, riche en propositions de réformes, renforce sa légitimité en tant que penitentiariste (on dirait aujourd’hui criminologue) et lui vaut, en 1886, d’être nommé membre de la Commission nationale de classement des récidives, tout juste créée.
Au moment de son décès brutal, en 1887, Louis NIVELLE venait tout juste de faire valoir ses droits à la retraite. Il s’éteint à son domicile, à Paris, à l’âge de 59 ans.
Louis NIVELLE fut donc un directeur de prison à part, décrit comme un « homme de cœur et d’intelligence », pleuré par ses anciens détenus ; et si sa philanthropie justifie la médaille d’honneur de la Société d’Encouragement au Bien qui lui a été décernée en 1875, ce qui justifie les Palmes Académiques, c’est son rôle pionnier dans le domaine de la formation du personnel pénitentiaire. A l’époque, les gardiens de prison étaient d’anciens soldats, autoritaires et brutaux, manquant cruellement d’instruction au point d’être le plus souvent incapables même de faire des rapports. Mais en 1865, de sa propre initiative, NIVELLE avait créé une école élémentaire destinée aux agents de la Maison d’Arrêt de Nantes. Cette innovation inspira une circulaire ministérielle de 1869, qui encourageait la généralisation de ce type d’écoles. Bien que cette règlementation n’ait été suivie que d’un enthousiasme modéré, elle marque en France, le tout début de la formation professionnelle des surveillants de prison. NIVELLE pour autant, ne s’est jamais vraiment satisfait d’une simple alphabétisation des gardiens. Il a toujours milité pour la formation de « guides éclairés, fermes et bienveillants, de véritables éducateurs », et il plaidait ardemment pour la création d’une école normale de gardiens qui ne verra véritablement le jour qu’en 1945.
Cet article est extrait d’un travail de notice biographique détaillé et sourcé de 2024
