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1942: un British dans la Résistance belge en France

#challengeUproG du mois : « un dossier de résistant ».

Dossier de résistant de F. Touroult

Le Service Historique de la Défense conserve sous la cote GR 16 P 575676 le dossier de résistant de Francis TOUROULT, né le 6 juin 1913 à Jersey, petite dépendance de la couronne britannique au large de la France. Ce dossier est essentiellement composé d’un état signalétique et d’un questionnaire signalétique, datés de décembre 1945 et janvier 1946, et remplis par l’intéressé lui-même. Il y relate son implication dans la Résistance à l’occupation allemande au sein d’un réseau belge opérant en France. Sujet britannique… Réseau belge… Territoire français… Voilà un micmac qui attise la curiosité…

Francis dit Franck TOUROULT est né et a toujours vécu à Jersey mais en juin 1940, au moment de la capitulation, il est sergent dans une brigade de chasseurs à pied de l’armée française. Il est alors fait prisonnier et envoyé en Allemagne. Dix-huit mois plus tard, il est libéré et rapatrié comme malade, souffrant de tuberculose ganglionnaire. En janvier 1942, il est hospitalisé à Saint-Malo, alors principal point de liaison avec Jersey, également sous occupation allemande. C’est là que Fanck se lie d’amitié avec son médecin, le Dr ANDRÉIS, chef de secteur dans la Résistance, qui lui propose de l’aider dans ses activités anti-allemandes. Franck renonce alors à rentrer à Jersey et demande à son épouse de le rejoindre à Saint-Malo avec les enfants. En plus des « sentiments patriotiques » qu’il mentionne dans son dossier, Franck possède un atout décisif pour la Résistance : il parle couramment allemand, ayant travaillé en Allemagne pendant sa captivité. Grâce à un contact du Dr ANDRÉIS, il est embauché dans l’entreprise Karl Blume, une société hambourgeoise établie à Saint-Malo. Ce poste lui permet de transmettre au réseau de précieux renseignements sur le trafic maritime allemand : entrées et sorties de cargos, cargaisons, effectifs, matériels, etc…

Francis Touroult
Photo figurant au dossier

Nous avons donc ici un Britannique avec des sentiments patriotiques français forts, au point de se battre pour ainsi dire volontairement pour la France et de faire déménager toute sa famille pour pouvoir rejoindre la Résistance. C’est peu banal mais cela s’explique par le fait que le père de Franck était un immigré français à Jersey. Franck avait pourtant à peine connu ce père, qui est mort au front, en 1917, des suites de ses blessures par éclats d’obus, mais il aura développé une affection particulière pour la France, nourrie par le symbole du sacrifice héroïque de son père, médaillé militaire, « mort pour la France ».
À Jersey, depuis le milieu du 19e siècle, l’immigration française était dense si bien qu’à l’époque de la naissance de Franck on estime de 25% à 30% le nombre de Jersiais ayant au moins un parent français. Très peu d’entre eux faisaient les démarches pour se faire reconnaître comme citoyen français car cela impliquait notamment de devoir se soumettre aux obligations du service militaire alors que le Royaume-Uni, lui, n’imposait aucune conscription. Mais Franck n’avait pas le même rapport à la France que ses camarades. Comme il l’indique dans sa fiche signalétique, il avait fait les démarches pour obtenir la nationalité française en 1934 afin de pouvoir faire son service militaire en France entre 1934 et 1935, suite à quoi il avait repris sa vie à Jersey où il s’est marié en 1937. D’aucuns psychogénéalogistes liront chez Franck une loyauté invisible envers ce père. En se soumettant de lui-même au service militaire puis en s’engageant dans la Résistance en France, Franck prolonge symboliquement le combat paternel : combattre pour la France c’était honorer la mémoire d’un père idéalisé, donner du sens à son sacrifice et peut-être même réparer une absence fondatrice. D’autant que l’ennemi était pour ainsi dire le même…

Dans son dossier de résistant, Franck révèle sa participation à l’élaboration d’une grande carte de Saint-Malo, recensant toutes les installations offensives et défensives allemandes, remise à la Sûreté de l’État belge en mai 1943. Il participe également à une cartographie de la côte, remise à l’État-major américain en août 1944. Il mentionne l’arrestation du Dr ANDRÉIS en mai 1943, et la reprise du secteur par l’épouse du médecin, des éléments qui appellent à une recontextualisation historique du réseau auquel appartenait Franck.

Exemple de croquis realisé par le réseau de renseignement Delbo de St-Malo, ©Demalvilain

Francis TOUROULT était agent P1 c’est à dire agent permanent du réseau DELBO-PHENIX, un réseau subordonné à la Sûreté de l’État belge réfugié à Londres, en coopération avec l’État-major allié. En France l’Etat belge animait en effet plusieurs réseaux de renseignement et d’évasion, totalisant environ 3 500 agents homologués comme Forces Françaises Combattantes.

A la base du réseau DELBO, on trouve le réseau SABOT créé en octobre 1941 par les rervices secrets Belges qui ont besoin en France de liaisons pour le passage de leur courrier, l’évacuation de colis et la recherche de renseignements. Cette dernière mission, tout d’abord secondaire, prend de l’ampleur et débouche en juin 1942 sur la création d’un réseau à part nommé DELBO, chargé d’observer les positions allemandes sur la côte atlantique. Il comptait environ 200 agents répartis dans plus de 20 villes françaises. Jean ANDRÉIS, médecin grec, est responsable du secteur de Saint-Malo-Dinard. Les informations recueillies étaient centralisées chaque semaine au quartier général du groupe à Paris, d’où elles étaient transmises à Londres via les ambassades de Suède ou du Portugal. En mai 1943, le quartier général parisien est démantelé par les nazis. Le chef du réseau, Emile DELANNOY est arrêté ainsi que de nombreux cadres dont le Dr ANDRÉIS qui est détenu huit mois. Les membres du secteur de Saint-Malo continuent de travailler sous la coordination de Madame ANDRÉIS et font parvenir leurs informations via le réseau de renseignement ROY de l’abbé LAPOUGE. Puis le groupe DELBO est relancé au mois de juillet sous le nom DELBO-PHÉNIX, avec un nouveau quartier général à Niort et un nouveau chef, Jean DEPRAETERE, parachuté par le gouvernement belge. En mars 1944, la répression allemande s’abat de nouveau sur les cadres du réseau. Le Dr ANDRÉIS, libre depuis seulement 3 mois, est de nouveau arrêté et déporté à Dachau. Pour autant, les agents du secteur de Saint-Malo poursuivent leur activité jusqu’au mois d’août, transmettant leurs données via le réseau belge PCC.

saint malo garnison allemande
Forteresse Portuaire, St-Malo accueille jusqu’à 9000 militaires allemands en garnison, ©AM St-Malo

Après la Libération, Franck n’en a pas fini de son engagement contre l’Allemagne : il entre au service des Américains comme employé civil. Lorsqu’il remplit sa déclaration signalétique, le 28 décembre 1945, il est intendant au Bureau de Régulation Logistique de l’armée américaine, basé à Nancy. En plus de la Médaille commémorative 1939-1945, il reçut la Croix du Combattant Volontaire en reconnaissance de son engagement dans la Résistance. Il fut également décoré par l’État belge de la Médaille de la Résistance armée et de la Croix du Combattant Volontaire. Franck a finalement fait sa vie en France, faisant carrière comme représentant de commerce, affichant toujours une grande humilité vis-à-vis de son action héroïque pendant l’occupation. Il est mort, à Nantes, le 17 décembre 1996.

Collage des membres du secteur de Saint-Malo du reseau Delbo, ©Demalvilain

En savoir plus :

  • Delbo-Phénix sur le site du Centre Régional Résistance et Liberté [en ligne]
  • Delbo-Phénix sur le site Memoire de Guerre [en ligne]
  • FOSTY José, « Les réseaux belges de France », 1972 [en ligne]
  • FOUCQUERON Gilles, « St-Malo occupée St-Malo libérée », 1984 [en ligne]
  • Pierre Demalvilain, article du dossier « communiquer pour resister » de l’ONAC, page 19 [en ligne]
  • Pierre Demalvilain, notice biographique et témoignage vidéo sur le site des Amis de la Fondation de la Résistance [en ligne]

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